1985 : Il s’appelait Ludovic et nous étions dans la même classe de CP…

Si je me souviens de lui, après 25 années, c’est tout simplement parce que Ludovic était un petit garçon bien différent des autres petits garçons de son âge.

Solitaire et timoré, je le vois encore, le moment venu de la récré, se promener seul dans le préau, son goûter à la main. Je ne l’ai jamais vu jouer au foot ou « à la bagarre » avec ses petits camarades du même sexe. Par contre, il acceptait parfois de se joindre à Paula et à moi lorsque nous nous prenions le temps de la récré pour Tam et Cylia, les cat’s eyes. Ludovic jouait le rôle de Quentin : le petit ami flic de Tam. Il parlait peu.

En classe, il était extrêmement anxieux, terriblement angoissé. Il passait la moitié de son temps à se balancer sur sa chaise, les jambes croisées. Il lui est même arrivé une ou deux fois de se pisser dessus.

Dans son magnifique regard vert, une multitude de sentiments : de la douceur, de la gentillesse mais surtout de la peur, de l’angoisse et du mal être.

Tout au long de ma scolarité, je n’ai jamais rencontré un gamin aussi mal dans sa peau, aussi perturbé. Il est resté gravé à jamais dans ma mémoire. Régulièrement, je pensais à lui et me demandait ce qu’il avait bien pu devenir. Avec du recul, sa douceur, sa fragilité, ses gestes parfois féminins et son refus de jouer avec les autres petits garçons me laissaient songeuse et soupçonneuse quant à ses préférences sexuelles.

Cette semaine, il était impératif que je prenne rendez-vous chez le coiffeur. Cette racine d’1 cm était devenue inacceptable. Rien de plus vilain qu’une racine claire sur des longueurs foncées. Sauf que cette semaine, je ne suis pas sur Paris. En effet, j’ai décidé de passer ma semaine de congé avec le mini-moi chez ma mère, dans le Nord de la France. Alors, pas d’autre solution que de prendre rendez-vous chez un des nombreux coiffeurs de la ville où j’ai vécu toute mon enfance et toute mon adolescence. Ma mère me conseilla le sien : « un homo vachement sympa, qui se déplace régulièrement sur Paris pour coiffer Miss France ». Si ce type coiffait Miss France, il ne pouvait, en conséquence, qu’exceller dans son métier ! Enfin, c’est ce que je pouvais surtout en conclure pour me rassurer de faire appel à un autre coiffeur que le mien.

Go en avant toute, je prends donc rendez-vous hier pour aujourd’hui avec le fameux coiffeur de Miss France.

A 11h30, je pousse la porte d’entrée du salon, le coiffeur de Miss France a pris du retard et m’invite à patienter quelques minutes en bonne compagnie : Voici, Closer and co. Bref, rien que de la saine littérature !

Je jette un œil distrait sur la presse people lorsqu’un mec accompagné d’un bouledogue français débarque dans le salon (une sympathique femelle prénommée «DIAMOND », mais cela, je ne l’appris que par la suite).

Dans un premier temps, c’est le collier serti de cristaux SWAROVSKI que portait le Toutou autour du cou qui attira mon attention. Ensuite, mon regard se posa sur le type qui se trouvait au bout de la laisse. Un type très grand, très mince, brun au teint mat. Je ne me mis pas longtemps à comprendre qu’il s’agissait du compagnon du coiffeur de Miss France et que « DIAMOND » était en quelque sorte l’enfant du couple…

Au premier regard, je sus qui il était : Ludovic. Malgré les 25 années écoulées, il avait gardé les mêmes traits du visage et les mêmes expressions. Bien évidemment, il ne me reconnut pas. Une gamine banale, que rien ne différenciait des petites filles de son âge. Pour quelle(s) raison(s) aurais-je pu rester gravé dans sa mémoire ?

De retour à la maison, j’appris par ma mère que Ludovic coiffait de temps en temps et qu’il défilait également pour certains magasins de la région.

C’est étrange comme les attitudes d’un enfant peuvent être révélatrices du futur. Je savais que ce gamin était différent (pas dans le sens anormal, bien sûr!) et le fait qu’il soit gay aujourd’hui ne m’étonne absolument pas.

Ludovic

Partager cet article