Plus grandir

19h30. L’heure du dîner pour Numero one (4 ans) et Numerobis (2 ans). Tandis que Numerobis (alias bouffe-tout) attaque avec grand plaisir sa deuxième tranche de porc, Numero one, lui, chipote, telle une adolescente anorexique comptant les calories dans chaque bouchée.

-          Numero one, il faut que tu manges des protéines si tu veux grandir.

-          Nan, j’en veux pas !

-          Si tu ne manges pas de protéines, tu ne grandiras pas. Tu resteras tout petit. Tu seras le plus petit garçon de ta classe. Tu seras même plus petit que les filles !

Numero bis repousse son assiette et croise les bras.

-          Tant mieux, parce que je veux pas grandir ! Je veux pas devenir grand ! Je veux rester tout petit !

-          Pourquoi, tu ne veux pas grandir ?

Numerobis baisse le regard et le ton de sa voix.

-          Parce que j’ai peur…

Que répondre à cela ? En tant que mère, je devrais le rassurer, lui « vendre » la vie formidable d’adulte. Le pauvre, il ne sait pas qu’il vit actuellement les meilleures années de sa vie. Il ne sait pas quel monde impitoyable l’attend. Un monde où tu marches ou tu crèves. Un monde où tu bouffes ou tu te fais bouffer. Un monde où tu ne vis pas mais où tu survis.

Il y a une vingtaine d’années, j’avais été choquée par les propos tenus par Mylène Farmer dans une interview. Elle s'exprimait sur la maternité. Elle avouait ne pas vouloir d’enfant car selon elle : « donner la vie, c’est donner la mort ».  Elle évoquait le côté égoïste de vouloir mettre au monde un enfant dans un monde aussi bas, aussi effroyable, aussi dur. Avec le recul, je me dis que finalement, son raisonnement se tient. Bizarrement, depuis que je suis devenue mère, je suis bien plus compréhensive envers celles qui souhaitent rester nullipare. Donner la vie, ce n’est vraiment pas faire un cadeau à celle ou à celui à qui on l’a donne…